The Lodestone

Autour de la tempête de sang

Une amitié est née


« Encore une... »

Ainsi grommela Conrad lorsqu'il apprit qu'une de ses unités venait de se faire décimer par des troupes impériales. C'était un coup dur pour le commandant, car les hommes stationnés dans la forêt des Confins est étaient parmi les soldats les plus aguerris de l'armée de libération.

Pour pallier leur faiblesse militaire, les résistants s'étaient divisés en plusieurs factions disséminées à travers tout Gyr Abania. La plupart agissaient de façon autonome, mais il n'était pas rare qu'elles s'allient les unes aux autres pour lutter contre l'envahisseur. Grâce à ce système, la disparition d'une unité n'affectait que peu les activités de la résistance. Toutefois, l'annonce de la suppression de ce groupe de vétérans, dont la plupart étaient engagés dans le conflit depuis le début, avait jeté un froid sur le camp. Même Meffrid, un capitaine chevronné qui avait pourtant connu son lot de coups durs au fil des années, avait le visage renfrogné.

« Le problème, c'est que cette unité gardait un tunnel important, et il est fort probable que les Impériaux l'auront découvert. Du coup, nos camarades à Ul'dah sont incapables de faire passer les deux Éorzéens qui veulent se réfugier chez nous. »

À ces mots, M'naago, qui avait rejoint récemment les rangs de l'armée de libération, fronça les sourcils.

« Qui sont ces "Éorzéens", au juste ? Et pourquoi tiennent-ils tant à venirrr ici ? »

La question de la jeune femme était pertinente, car s'il y en avait beaucoup qui voulaient fuir Gyr Abania, rares étaient ceux qui cherchaient à se réfugier dans cette région.

« Ce sont des membres des Héritiers de la Septième Aube, une organisation qui nous a déjà aidés par le passé. L'un d'eux est la fille de Curtis Hext. »

M'naago ne put cacher sa surprise. Comme tous les enfants du pays, elle avait été bercée par les histoires du grand Curtis Hext. Il était l'un des chefs de file de l'armée révolutionnaire, un homme au courage exemplaire qui s'était battu afin de libérer le peuple de la tyrannie du roi Theodoric.

« Le héros de la rrrévolution !? J'ignorais que sa fille nous aidait !
– Elle s'appelle Yda, et elle a fui peu après l'invasion garlemaldaise. Elle a étudié pendant un certain temps avec les savants de Sharlayan avant de rejoindre les Héritiers de la Septième Aube. »

Conrad poursuivit : « Malheureusement, son compagnon et elle se sont retrouvés mêlés au meurtre de la Sultane, et maintenant leur vie est menacée. Ils ont réussi à contacter notre cellule locale à Ul'dah, qui a arrangé leur passage de l'autre côté de la Muraille. Mais en décimant l'unité de la forêt des Confins est, les Garlemaldais ont tué le projet dans l'œuf... »

M'naago se doutait que dans une telle situation, elle et ses camarades ne pouvaient pas faire grand-chose pour ces deux alliés. Cependant, Conrad avait une opinion différente de la chose.

« Nous avons une dette envers les Héritiers de la Septième Aube, et le moment est venu de nous en acquitter : nous sauverons ces personnes nous-mêmes ! »

« Quelle mouche l'a piqué ? En temps normal, le commandant n'aurait jamais proposé une opération aussi rrrisquée. »

L'annonce de Conrad avait surpris M'naago, et malgré son apparente décontraction, le léger tremblement de ses mains trahissait son inquiétude.

Meffrid lui répondit calmement : « Comme la plupart ici, il espère que ces alliés nous apporteront beaucoup. »

Il lui expliqua ensuite que les Héritiers de la Septième Aube jouissaient de relations privilégiées avec les états-majors de l'Alliance éorzéenne, et qu'ils avaient joué un rôle primordial dans la réussite de l'opération "la marche des Preux", qui avait conduit à la défaite de la 14e légion impériale du général van Baelsar.

Il apparut alors à M'naago que l'avantage qu'offriraient ces gens, en permettant notamment de coordonner une action militaire commune avec les dirigeants des cités-États d'Éorzéa, dépassait largement les risques qu'impliquait leur sauvetage.
« Soit dit entre nous, le nom de cette fille circule énormément dans nos rangs depuis quelque temps, et beaucoup la voient déjà prendre la succession de Conrad.
– Tu veux parrrler de cette Yda ?
– Oui. Nous avons besoin de quelqu'un qui puisse rassembler les différentes factions de notre armée sous une seule bannière. Et s'il y a une personne capable de fédérer cet ensemble disparate, c'est bien la fille de Curtis. »

M'naago comprenait ce raisonnement. Elle-même était plutôt enthousiaste à l'idée d'accueillir la fille de ce héros du peuple. Mais de là à lui confier les responsabilités assumées par Conrad, il y avait un pas à franchir.

« Je sais ce que tu ressens », lança Meffrid en constatant le doute dans le regard de sa protégée. « Mais que pouvons-nous faire ? Pense au Griffon ! »

M'naago baissa la tête... Le Griffon était le nom du meneur d'une nouvelle faction au sein de l'armée de libération. De nombreuses rumeurs circulaient sur ce personnage énigmatique : certains racontaient qu'il portait un masque pour cacher une vilaine cicatrice au visage, d'autres prétendaient qu'il était un descendant direct de la famille royale... Quoi qu'il en soit, l'apparition soudaine de ce mystérieux révolutionnaire préoccupait les cadres du mouvement.

« Bah ! Inutile de se torturer l'esprit pour l'instant. Commençons par sauver ces deux personnes, et puis nous verrons ensuite. Prépare tes affaires, nous partons au coucher du soleil. »

Meffrid et M'naago devaient emprunter une vieille galerie souterraine afin de passer de l'autre côté de la Muraille. Les Impériaux ayant récemment construit un poste de surveillance à proximité, Conrad et les autres allaient créer une diversion afin de permettre à leurs camarades de passer inaperçus. La manœuvre était risquée. Tout échec était synonyme de mort, mais c'était la seule stratégie possible...

L'opération fut couronnée de succès et les Héritiers furent conduits à L'Étendue de Rhalgr. Il s'agissait d'un duo atypique composé d'un Lalafell et d'une Hyure.

Papalymo était un homme savant et raisonnable, tandis qu'Yda était une baroudeuse qui avait tendance à frapper d'abord et à discuter ensuite. Tous deux portaient en eux de profondes blessures, tant sur le plan physique que moral. La trahison dont ils avaient été victimes et la séparation d'avec leurs compagnons les avaient fortement affectés. Mais à mesure que le temps passait, ils retrouvaient progressivement leur entrain naturel.

Désireux de manifester leur gratitude envers leurs sauveurs, les deux réfugiés ne rechignaient pas à la tâche, et ils se portaient toujours volontaires pour partir en mission. Si cette solidarité avait séduit M'naago, la jeune archère ne pouvait se faire à l'idée qu'Yda remplace le commandant auquel elle était dévouée.

Cependant, un événement allait la faire changer d'avis.

Un jour où elles avaient patrouillé ensemble près de Castrum Oriens et se préparaient à retourner au camp, M'naago et Yda entendirent un cri perçant venant de la forêt.

« Une enfant ? Ici !? »

M'naago n'en croyait pas ses oreilles. La forêt des Confins est était inhabitée depuis longtemps, et s'il n'était pas rare d'y croiser des éclaireurs ou des transporteurs garlemaldais, elle n'avait jamais vu d'enfants s'y promener.

« Allons voir ce qui se passe ! »

Yda se précipita en direction de la voix, et M'naago n'eut d'autre choix que de la suivre. Après une course effrénée dans les bois, elles finirent par trouver la fillette qui avait poussé le cri d'épouvante. Elle était accroupie au pied d'un arbre et tremblait de tout son corps. Face à elle se tenait un homme gravement blessé à l'abdomen.
« On dirait un de nos combattants. Peut-être est-ce un survivant de l'attaque de l'autre jourrr ? », s'interrogea M'naago.

Yda, qui avait déjà commencé à traiter les blessures du soldat, lui répondit d'un ton autoritaire :

« Je m'occupe de lui. Prends la petite et conduis-la en lieu sûr !
– Quoi !?
– C'est peut-être un piège. Papalymo m'a dit que les Garlemaldais se servaient parfois de leurs prisonniers comme appât. Ils les mutilent et les laissent s'enfuir dans l'espoir qu'ils les conduisent à leurs compagnons.
– Raison de plus pour rrrester ensemble, alors !
– Nous ne pouvons pas risquer la vie de cette enfant ! Ne t'en fais pas pour moi, je m'en sortirai quoi qu'il arrive. Et je vais tout faire pour lui sauver la mise. Allez ! File ! »

M'naago prit la fillette dans ses bras et s'en alla à contrecœur. Elle venait de laisser une sœur d'armes seule en plein territoire impérial... À présent, tout ce qui comptait pour elle, c'était de conduire la petite en lieu sûr et de retourner auprès de sa camarade aussi vite que possible.

Elle partit en direction du nord afin de s'éloigner de la base garlemaldaise. Tandis qu'elle courait à vive allure dans la forêt, elle prit soin de contacter ses compagnons par linkperle pour demander des renforts. Au détour d'un arbre, elle tomba nez à nez avec une chasseuse qui s'avéra être la mère de la jeune fille. Rassurée d'avoir retrouvé son enfant, elle remercia chaleureusement la Miqo'te. M'naago coupa toutefois court à la conversation et repartit au pas de course afin de rejoindre Yda.

Plus elle se rapprochait du gros arbre où elle avait laissé sa partenaire, plus la peur grandissait en elle.

Lorsqu'elle arriva enfin sur place, elle n'en crut pas ses yeux. Bien que blessée, Yda se tenait les poings brandis en avant. À ses pieds gisaient plusieurs soldats impériaux auxquels elle venait de faire mordre la poussière. Elle avait risqué sa vie pour une inconnue et un mourant...

Plus tard, Papalymo reprocha vivement à sa camarade son comportement risqué et téméraire, mais l'altruisme et le courage dont avait fait preuve Yda avaient fortement impressionné M'naago.

Quelque temps après les faits, M'naago approcha Yda et lui demanda si elle voulait rejoindre officiellement l'armée de libération d'Ala Mhigo. Cependant, la réponse de la Hyure la laissa perplexe.

« Je vais te dire la même chose qu'à Conrad : je suis honorée de ton invitation, mais je ne peux l'accepter.
– Mais pourrrquoi ? Si tu prenais le commandement de la résistance, tout le monde te suivrait comme un seul homme ! Tu es la fille de Curtis Hext, après tout ! »

Yda esquissa un sourire gêné et répondit :

« Si j'ai hérité de sa fougue, je n'ai malheureusement pas les capacités intellectuelles, ni le charisme de mon père. J'essaie de m'améliorer, ceci dit.
– Mais pourrrtant... »

M'naago cherchait les mots qui pourraient convaincre son interlocutrice.

« Je ne peux pas abandonner mes compagnons. Papalymo et les autres membres des Héritiers ont besoin de mon aide... Mais même si je ne rejoins pas l'armée de libération, ça ne nous empêche pas d'être amies, non ? »

M'naago aurait espéré une réponse différente, mais sa déception fut vite estompée par le sourire que lui adressa Yda.

Cet événement marqua le début d'une grande amitié qui ne s'est jamais démentie au fil du temps, pas même lorsque Lyse lui révéla la vérité sur sa sœur, le masque, et tout le reste. Qu'importe son prénom : c'était la même femme, la même amie, et elle était prête à se battre à ses côtés au nom de la liberté !