The Lodestone

Par-delà les finitudes

Le premier partisan

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Dans un coin d'Amaurote, ancienne capitale de l'humanité et centre névralgique de ses activités, se trouvait un vaste établissement connu sous le nom d'Anamnesis Anydre. C'est là qu'étaient entreposés les précieux « concepts », les archives de la création et du savoir.

La quantité de documents et de cristaux qui s'y trouvaient était telle qu'une main-d'œuvre considérable était requise pour les classer et en tenir à jour l'inventaire sans cesse grandissant. Les employés étaient donc nombreux, mais pas moins triés sur le volet lors de leur recrutement en raison du haut niveau d'instruction et de culture générale exigé. Rejoindre le personnel de l'Anamnesis Anydre était ainsi considéré comme un grand honneur, surtout parmi les scientifiques et les érudits.

L'homme était l'un de ces employés. Alors que ses confrères vouaient une passion ardente à la création sous toutes ses formes, lui était plutôt intéressé par l'étude des choses et concepts existants. Ainsi, il était capable d'analyser et de retourner un caillou dans tous les sens pour établir les principes de ce qui en faisait un caillou, car pour lui, la connaissance et la compréhension des détails les plus infimes étaient indispensables pour élucider les mystères du monde dans son ensemble. S'il passait le plus clair de son temps à ranger et organiser méticuleusement le fruit du travail de ses pairs et prédécesseurs, il profitait du moindre moment de liberté pour développer ses propres théories scientifiques. Des cernes de croissance des arbres aux différentes couches composant la croûte terrestre, tout domaine était digne d'intérêt et prétexte à étendre son savoir.

Un jour, l'homme reçut une requête inhabituelle de sa direction : quelqu'un tenait à le rencontrer. Le nom de la personne en question ne lui était pas inconnu, car il s'agissait d'une érudite qui venait de présenter durant les siècles récents plusieurs rapports d'études remarqués sur l'existence. Il s'était d'ailleurs tout particulièrement intéressé à un de ses travaux, assimilant les êtres vivants à une simple matière parmi les nombreuses composant la planète. Puisque cette scientifique avait expressément requis son assistance pour la recherche de documents précis dans l'Anamnesis Anydre, c'est avec un brin de curiosité qu'il accepta de faire sa connaissance.

À l'heure prévue pour le rendez-vous, l'homme se rendit au salon indiqué, non loin de l'entrée principale du bâtiment. Il frappa à la porte massive, avant d'être invité à entrer par une voix franche et amicale. À l'intérieur, il se fraya un chemin à travers des piles de documents en désordre jusqu'à apercevoir son hôte, debout et vêtue d'une longue coule noire, les yeux cachés par un masque comme la plupart des humains à cette époque. À la grande surprise de l'homme, l'érudite baissa sa capuche et dévoila son visage aussitôt qu'elle le remarqua.

« Enchantée de faire votre connaissance. Je m'appelle Venat. »

Outre certaines circonstances de la vie quotidienne exigeant d'être à visage découvert, la pratique n'était bienséante qu'entre proches. Ou alors, à l'occasion d'événements solennels comme la demande d'entrée en tutelle d'un élève à son maître, auquel cas cela constituait une marque de profond respect. Quelles que fussent les motivations de Venat, il paraissait clair qu'elle voyait en l'homme plus qu'un larbin utile au classement de documents. Dans cette situation inattendue, l'homme respira profondément, comme pour évacuer son appréhension, avant de porter à son tour la main vers son masque, par politesse.

C'est ainsi que débuta une singulière amitié qui allait durer aussi longtemps qu'ils vivraient.
La courtoisie de Venat n'avait d'égale que sa gaieté permanente, et les argumentations qui naissaient de son esprit brillant ne manquaient jamais de susciter l'admiration de son auditoire. Au fur et à mesure qu'il apprenait à la connaître, l'homme ne pouvait s'empêcher de la comparer à une pierre précieuse polie parfaitement arrondie, sans aucune aspérité au toucher et reflétant la même lueur douce sous tous les angles...

C'est plusieurs années après avoir commencé à côtoyer Venat que l'homme changea d'impression à son sujet. Un jour, après de longs moments passés à écrire dans un coin de l'Anamnesis Anydre, elle posa finalement sa plume. Curieux, il remit alors le volume qu'il consultait sur son étagère pour se rendre auprès d'elle et regarder par-dessus son épaule ce qu'elle avait couché sur le papier. Il s'agissait de la conclusion d'une théorie à laquelle elle avait consacré d'intenses efforts. La vérité était là, sans aucune contestation possible. Lorsqu'il réalisa ce qu'il venait de lire, un sentiment mêlé de soulagement et de joie parcourut la poitrine de l'homme.

« Oh, félicitations ! »

Cependant, Venat ne se retourna même pas. Intrigué, l'homme vint cette fois se placer à ses côtés, mais elle demeura prostrée sur l'écrit qu'elle avait tout juste achevé. Quelques secondes de silence plus tard, elle porta tout à coup ses deux mains gracieuses devant sa bouche et se mit à pouffer doucement. Bientôt, elle riait à gorge déployée, laissant transparaître une excitation qui tranchait avec la retenue qui la caractérisait habituellement. Ses yeux d'un bleu limpide comme la mer brillaient si intensément que l'homme se demanda un instant si elle avait à nouveau ôté son masque, comme le jour de leur rencontre.

« Incroyable... »

Venat était comme transportée.

« Notre existence relève véritablement du miracle.
– Qu'est-ce qui te prend, tout à coup ? Ne viens-tu pas de prouver qu'il s'agit du résultat inéluctable des règles naturelles établies ?
– C'est justement cette immuabilité qui est tout bonnement prodigieuse... »

Les yeux de Venat étaient toujours plongés dans la feuille de papier sur laquelle figurait sa démonstration. Au même instant, la pierre précieuse qui apparaissait inlassablement dans l'esprit de l'homme venait de se fissurer, et des facettes fraîchement révélées giclait une lumière irradiante qui rendait Venat plus resplendissante que jamais. Était-ce donc cela, son véritable visage ? Nul besoin d'argument ou de preuve, l'homme en était persuadé.

Au cours de ses travaux qui lui avaient permis d'exposer l'essence du monde et de l'existence, Venat semblait avoir eu une sorte de révélation. Le pressentiment de l'homme se vérifia lorsqu'un jour, en arrivant à l'Anamnesis Anydre, elle lui annonça sans préambule :

« Je m'en vais voyager. »

Il l'interrogea bien sur sa destination, mais elle lui répondit qu'elle n'en avait aucune en particulier. Tout au plus lui apprit-elle que son but était d'entendre, de ressentir et de penser aux choses qui nous entourent, afin de connaître encore davantage Ætherys.

« Je vois. Prends bien soin de toi, surtout. »

Sur ces paroles, Venat esquissa un sourire empreint d'allégresse avant de plier un ourlet sommaire au bas de sa coule et de quitter le bâtiment. Après avoir pris soin de l'accompagner du regard jusqu'à ce que la porte se referme derrière elle, l'homme retourna à la chaise sur laquelle il passait la majeure partie de sa journée de travail. Il reprit alors ses tâches habituelles de catalogage et d'archivage, comme si rien n'avait changé.

En l'absence de sa partenaire de toujours, cependant, il s'était découvert un nouvel intérêt. En parcourant inlassablement les montagnes de documents qui arrivaient chaque jour sur son bureau, il essayait d'imaginer lesquels allaient piquer la curiosité de Venat lorsqu'elle reviendrait. Ce faisant, il prit peu à peu ses distances avec les travaux relevant de sa spécialité pour se familiariser avec d'autres disciplines, et tout ce qu'il découvrait le passionnait au plus haut point.

Tantôt espacées de quelques mois, tantôt de plusieurs dizaines d'années, les visites de Venat à l'Anamnesis Anydre étaient motivées par le besoin de documentation et de savoir afin d'approfondir sa compréhension de certains phénomènes rencontrés au fil de ses voyages. En l'écoutant conter ses pérégrinations avec un enthousiasme à chaque fois renouvelé, l'homme ne reconnaissait plus la pierre précieuse qu'il avait d'abord vue en elle, mais plutôt un complexe cristal aux multiples facettes qui reflétaient des éclats intenses de bonheur.

Si lui n'était jamais au bout de ses surprises quand elle lui racontait ses aventures – et ses méthodes parfois très audacieuses – elle n'arrivait pas à croire qu'il soit toujours capable de dénicher l'exacte documentation que ses recherches exigeaient, en moins de temps qu'il fallait pour la lui demander.

Un autre changement d'importance survint dans la vie de Venat : elle avait été choisie pour occuper le siège d'Azem au Concile des Quatorze. Pour l'homme, ce rôle d'observatrice parcourant le monde lui allait comme un gant. Mais il savait aussi que le prestige de la position lui imposerait désormais de s'adresser à elle avec un grand respect. Il s'y employa lors de leurs retrouvailles, tout comme il mit plus de zèle que jamais à lui procurer les documents qu'elle réclamait. Des attentions qui n'étaient pas du goût de Venat, bien au contraire. Les sourcils froncés, elle lui lança :

« Si même toi, tu es coincé en ma présence, je vais finir par mal le prendre !
– La bienséance m'impose une certaine courtoisie à l'égard d'une personne de votre rang. N'y prêtez pas attention, vous vous y habituerez bien vite. »

Ce genre d'accrocs insignifiants vite oubliés après ses premiers pas en tant que membre du Concile, Venat se montra autant passionnée par sa nouvelle occupation qu'elle y excellait. Comme observatrice, il lui arrivait de s'engouffrer dans une profonde forêt pour y découvrir la source du mal qui poussait une bête féroce à s'attaquer à des villageois, ou encore de gravir des montagnes escarpées pour retrouver la trace d'un ami disparu lors d'une expédition... Elle avait aussi affronté et vaincu une gigantesque créature née des rêves candides d'un enfant et de la magie créatrice, identifié une plante vénéneuse menaçant de détruire de précieuses récoltes, mais également porté divers problèmes à l'attention de ses homologues du Concile pour finalement en trouver elle-même la solution à plusieurs reprises. Sur le dos de son fidèle familier au poil soyeux et doré, elle courait et volait sans relâche, à travers les plaines, les mers et les cieux de cette planète qu'elle aimait tant.

Et pourtant, elle décida contre toute attente d'abandonner son siège au Concile. Ce choix, difficilement compréhensible et prématuré aux yeux de son entourage, avait été motivé par la rencontre d'un homme passionnant lors d'un périple. Selon les dires de Venat elle-même, elle avait trouvé un véritable joyau.

« Ne pensez-vous pas qu'il vous reste encore beaucoup à accomplir, en tant qu'Azem ?
– Le monde n'a pas besoin de moi pour tourner, tu sais. En revanche, j'aimerais lui donner une chance de prendre son envol. Ses voyages ne seront pas les miens, et même s'il lui arrive de marcher sur mes traces, je suis persuadée qu'il saura voir, entendre, ressentir et penser différemment. Et surtout faire de nouvelles découvertes ! »

Sur ces paroles de Venat, l'homme caressa secrètement l'espoir de pouvoir la côtoyer à nouveau. Récemment, il avait vu plusieurs de ses collègues de l'Anamnesis Anydre parvenus à un point final dans leurs travaux choisir de retourner à la planète une fois leur contribution reconnue, et il craignait qu'elle en fasse de même.

Lui-même n'avait pas la moindre intention de suivre cette voie, car il avait toujours plus soif de connaissance, et la source de savoir qu'était le monde serait à jamais intarissable. Non, le seul vœu qu'il aurait aimé voir se réaliser au point d'en donner sa vie, c'était celui d'être aux côtés de celle qu'il admirait plus que tout pour connaître le dénouement de sa passionnante odyssée.

Conformément à son souhait, Venat abandonna son siège d'Azem pour prendre la robe blanche de grande conseillère. Quant à l'homme, il finit par être nommé directeur de l'Anamnesis Anydre, l'endroit même qui allait devenir le point de ralliement des partisans de Venat lors de la future apocalypse.

Une terrible calamité avait frappé le monde, qui avait été sauvé par l'intervention divine de Zordiarche. Les adeptes du Primordial étaient désormais résolus à faire un second sacrifice colossal afin de semer de nouvelles graines de vie sur Ætherys, graines dont les fruits seraient eux-mêmes un jour offerts en échange du retour des premiers humains disparus. C'était leur projet pour retrouver leur parfait paradis perdu.

L'homme et Venat, eux, appartenaient à une frange de la population qui n'était pas franchement conquise par cette perspective. Dans leur esprit, il n'était pas juste de renoncer à l'avenir pour se tourner vers le passé. Les blessures et les pertes, aussi douloureuses fussent-elles, devaient être acceptées pour repartir de plus belle vers l'avant. Pour ces raisons, Zordiarche devait à tout prix rester hors d'atteinte de l'humanité.

Afin de contenir la dangereuse divinité, Venat et ses partisans avaient adopté une solution radicale : se sacrifier dans le but de créer une entité capable de museler Zordiarche. Et pour lui donner les moyens de mater un adversaire d'une telle ampleur, ils allaient non seulement devoir offrir leur corps, mais aussi renoncer à leur âme à tout jamais.

La nuit durant laquelle fut prise la décision finale, l'homme s'adressa à Venat, qui ne quittait plus l'Anamnesis Anydre.

« Vénérable Venat... N'y a-t-il vraiment aucun autre moyen d'invoquer Hydaelyn ? »

Pour donner naissance à Hydaelyn, l'entité antagoniste de Zordiarche, il fallait choisir quelqu'un pour faire office de noyau. Tous les partisans de Venat savaient pertinemment que personne mieux qu'elle ne pouvait remplir ce rôle. Cependant, certains se disaient aussi que l'espoir serait permis tant qu'elle resterait en vie, et pensaient donc préférable qu'elle garde son humanité jusqu'au bout.

« Ne t'en fais pas, je ne disparaîtrai pas pour autant. Je pourrai toujours décider quelle forme donner à mon existence.
– De toute évidence, je ne vous ferai pas changer d'avis. Vous nous manquerez terriblement, sachez-le. »

En réponse à cette déclaration pleine de sincérité de l'homme, le visage de Venat se contracta, comme pour éviter des larmes. Puis, après un long silence pesant, elle répliqua :

« C'est plutôt à moi de dire ça ! »

En vérité, l'homme faisait peu de cas du terrible destin qui l'attendait. Ce qui le chagrinait plus que tout, c'était la perspective de quitter ce monde sans pouvoir être témoin des exploits à venir de Venat.

Sans dire un mot, il sortit un cristal de la poche de sa robe et le tendit à Venat, comme il l'avait déjà fait à d'innombrables reprises depuis le début de leur collaboration. Celui-ci contenait le dernier fragment des connaissances de l'humanité au sujet de l'espace qui entourait la planète. L'homme savait pourquoi ce savoir était nécessaire, mais il était aussi conscient que Venat n'avait pas tout révélé à ses partisans, surtout quant au futur qui allait se dessiner. Ce qui l'avait surtout frappé, c'était la détermination avec laquelle elle avait affirmé que l'avenir n'était jamais écrit et qu'il ne fallait pas le prendre comme une fatalité, mais plutôt faire tout son possible pour le rendre meilleur. Il avait d'ailleurs retrouvé à travers ces paroles la pierre précieuse arrondie aux douces courbes qu'il connaissait si bien.

« Votre évolution fut véritablement éblouissante, et j'ai apprécié grandir à votre contact. Sur ces constatations, permettez-moi d'énoncer une hypothèse : tant qu'il continuera à changer, l'être humain parviendra un jour au bonheur. Vous pouvez compter sur notre aide, alors à vous de faire de ces paroles une réalité. »

Venat ne savait quoi répondre. Après un soupir, elle sourit pudiquement et reçut le cristal des mains de l'homme, qui ajouta alors :

« Mon plus grand regret restera de ne pas pouvoir assister à votre succès, et tous ceux à venir. Si je pouvais être les yeux d'Hydaelyn, croyez bien que c'est sans ciller que je vous suivrais jusqu'au bout du sentier de votre gloire. »

Il était on ne peut plus honnête, mais n'espérait pas une seconde que son vœu se réalise. Après tout, il allait bientôt disparaître à jamais, et cette entrevue faisait office d'adieux. Il voulait simplement se confier, et qui sait, se rappeler au bon souvenir de Venat si ses dernières paroles ressurgissaient un jour dans son esprit.

Lui comme elle s'apprêtaient maintenant à se lancer sur la longue route qui devaient les mener, ainsi que toute l'humanité, au bonheur tant espéré.
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